Poème à l'hôpital

Jeanne HYVRARD

Au dessus du muret de marbre
Qu'ils avaient construit
Au bon milieu du corridor
Du bâtiment axial
En plein centre
En plein coeur
De l'hôpital
Pour soutenir la rampe d'accès
A la cafétaria
Ou pour seulement l'enjoliver
En tous cas
Pour créer là un lieu
Un espace
Un endroit
Où la dureté
De tout ce qui se passait là
Et tout autour
A l'entour
Dans les anciens pavillons bas
Et les nouveaux immeubles hauts
De ce village hospitalier
Sanitaire
Dans lequel l'hospitalité
Etait toujours à renégocier
Pouvait un moment se suspendre
Et qui sait
Retourner en espérance d'abord
Puis en espoir précis et statistique
Ce qui avait été
Un diagnostic
Et un sévère pronostic
Au dessus du muret de marbre
Qu'ils avaient construit là
Comme un luxe étonnant
Presque déplacé
En tous cas incongru
Tout à coup je les vis
Ils étaient six ou sept
Alignés au comptoir
Debout
En blouse blanche
Tous également jeunes et bruns
Vigoureux
Beaux
Comme peuvent l'être les hommes
Qui de dos
Donnent tant à rêver
Au dessus du muret de marbre
Qu'ils avaient construit là
Comme un nouveau déréglement
Au détour du bâtiment axial
Comme je traversais ce long corridor
Pour me rendre à la consultation
Vérification
Surveillance disaient-ils
A l'autre bout du dédale
Au-delà d'un semblant de jardin
Aménagé là
Au revers du labyrinthe
Pour égayer l'ultime cour
Au pavillon de ceux-là
Les délaissés
Qu'on ignorait
Faute de savoir comment les aborder
Les consoler
Les soigner
Et que vingt cinq ans après le drame
J'envisageais les choses
Sous un angle un peu moins saumâtre
De rémission en rémission complète
De rémission complète
En guérison
Et désormais en guérison totalement consolidée
Etant enfin presque heureuse
De revenir dans ces lieux
Qui n'étaient plus ceux de la terreur
Et de la dérélection
Dans laquelle j'avais vécu là
Toutes les années
De ma longue et douloureuse maladie
Tout à coup je les vis
Au dessus du muret de marbre
Tous ces beaux en blouse blanche
Tous ces hommes
Et mon corps tressaillit
Non plus de crainte
Ou d'amertume
Comme c'était autrefois l'habitude
Mais de ce flot sacré
Qui dans le ventre des femmes
En se rompant comme un ultime barrage
Témoigne de leur consentement
Au prodige de l'accouplement
Ce préambule du vivant

Jeanne Hyvrard, le 17 janvier 2007


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